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#Alexandro Jodorowsky
POUR UNE MUTATION DE LA CONSCIENCE HUMAINE

"You are excrement. You can change yourself into gold", expliquait Alexandro Jodorowsky dans son film La montagne sacrée. Son œuvre est un athanor. L'initiation se compose de films ( Fando et Lys, El Topo, Santa Sangre...), de BD (L'Incal avec Moebius, La Caste des métabarons avec Giménez…), de livres (L'Echelle des anges, La Danse de la réalité,…) et de Tarot. La philosophie du Tarot, Alexandro Jodorowsky la distille chaque mercredi dans un bistrot parisien. Simplement. Pour aider ceux qui souffrent, ce poète sème des graines de conscience. Cet entretien se passe quelques minutes avant une de ces lectures.

Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le Tarot ?
L'origine du Tarot reste inconnue. On peut le faire remonter jusqu'à 1200 /1300.

J'ai assisté à quelques-unes de vos lectures et j'ai constaté que çela pouvait aider les gens...
Oui, ça aide les gens. Sinon ils ne viendraient pas. Et vouloir aider les gens ce n'est pas un crime. Ce n'est pas avoir un égo monstrueux. Et ce n'est pas se prendre pour un gourou ni pour un magicien. C'est simplement être un être qui a de la bonté et qui aide les autres êtres humains. Parce qu'il souffre de voir souffrir les êtres. Il n'y a pas de mystère. Le Tarot, comme la vie, a des aspects magiques. La vie n'est pas une construction rationnelle, par exemple au moins huit heures par jour tu rentres dans le monde du rêve.

Dans un livre consacré aux mutations auxquelles l'humanité doit se préparer, comme celles liées à Tchernobyl, figure un entretien où vous expliquez les techniques pour contrôler ses rêves. Toute votre œuvre parle de mutation de conscience. Comment allons nous muter ?
Quand tu parles de la mutation de Tchernobyl, il s'agit de mutation négative. Mais il peut y avoir des mutations positives aussi. On devrait travailler pour provoquer une mutation dans l'esprit des communs. Parce que ce sont eux qui font le monde, ce sont eux qui votent et qui font les guerres, et pas les politiciens qu'ils choisissent. Il serait bien de s'occuper de la masse, non ? Je ne vais pas changer le monde. Je vais commencer à le changer. Personne ne peut changer le monde. Mais on peut commencer à le changer.

Lors de vos lectures, vous demandez parfois au gens d'accomplir des actes pour le moins surréalistes...
Bueno. Ca semble surréaliste parce que ces actes ne sont pas rationnels. Je donne des métaphores pour parler à l'inconscient. Et l'inconscient n'est pas rationnel. L'inconscient est surréaliste. Il n'obéit pas aux lois du quotidien. Et même le quotidien est surréaliste. Je viens de lire dans le journal qu'il y a deux jours, un jumeau en bicyclette a été écrasé par un camion. Et qu'au même endroit deux heures plus tard, son frère s'était fait écraser par un autre camion. C'est complètement surréaliste. Le quotidien est plein de miracles, de choses impossibles, de choses bizarres. Il n'y a pas de limite entre le réel et le magique.

Etes-vous satisfait de la façon dont le réel est traité dans nos sociétés ?
Il a des différences entre chaque pays. Disons qu'en France la situation est pénible. C'est un pays cartésien pénible. Où l'esprit général est vraiment dans une décadence abominable. Il y a une décadence littéraire et même philosophique. On a qu'à voir la télé, les livres qui ont du succès, où on parle intelligemment du cul et que de ça. Ca fait de la peine.

Vous avez des projets actuellement ?
Je n'ai jamais de projets. J'agis d'instinct. Je travaille tranquillement sur des pièces de théâtre, des expositions, l'écriture de vingt livres à la fois. Je prépare deux ou trois ou quatre films. J'essaie de faire le film Abel et Caïn. Le cinéma dépend de l'économie et il est difficile de réunir des fonds quand on veut faire un film personnel. Mais l'arrivée des caméras numériques change cette donnée et permet à des petits cinéastes de faire leur propre film, tranquille, et c'est tout. Voilà l'oeuvre d'une nouvelle expression qui oubliera la production industrielle.

Vous vous intéressez également à la poésie...
La poésie est la chose qui m'intéresse le plus. Qui me passionne le plus. Il y a au niveau planétaire une véritable révolution poétique. Des jeunes deviennent éditeurs de poésies. Ils communiquent par des réseaux exactement comme les terroristes. Mais la poésie reste confidentielle et n'est pas industrielle.

Quel est selon vous l'avenir de l'espèce humaine ?
L'espèce humaine doit vivre autant d'années que l'univers. Arriver jusqu'à la fin de l'univers. C'est son but. Elle connaîtra alors tout l'univers et sera sa conscience. Elle créera un autre univers.

Vous êtes un des rares artistes disposant d'une large audience qui ose cette démarche de fulguration, d'illumination des gens...
Pourquoi aurais-je une démarche politique ? La révolution politique ne m'intéresse pas. Seule la révolution poétique m'intéresse. Pourquoi n'aurais-je pas une démarche spirituelle ? J'ai un esprit. Je le sens. Pourquoi m'enfermerais-je dans une prison rationnelle, quand je sens mon inconscient, là, comme un océan ? Et pourquoi je me mettrais des limites quand je sens l'illimité dans ma pensée ? Pourquoi je me définirais quand je me sens non défini ?

Cette prise de conscience générera-t-elle une nouvelle politique, une nouvelle écologie ?

Peut-on savoir ? Je suis un rouage d'un infini engrenage. Mais je suis là.

Vous en avez peut-être pris conscience plus que certains ?
Tu ne devrais pas penser qu'un être comme moi se compare. Je serais un minable. Jamais je ne pourrais dire que je suis supérieur aux autres. Je n'ai pas un esprit de champion. J'ai un esprit de saint, de saint citoyen, hors de la religion. Je recherche la sainteté avant tout, pas la sainteté sexuelle, mais la sainteté spirituelle. Une personne qui cherche la sainteté ne peut pas se sentir supérieure aux autres. Et je ne me sens pas non plus différent. Parce que je connais mon essence, enfin je crois la connaître. Et en croyant connaître mon essence, je la sens, et en la sentant, à ma façon, je la sens dans les autres. Alors je vois mon égalité dans tout être. Je sens l'égalité suprême. Je sens l'union à tout.

Vous pensez que les français la sentent aussi ?
Je ne vois pas de français, je vois des êtres humains. Le français c'est leur surface. Personne n'est français. On est des êtres humain avant tout. Il faut allez à l'essentiel. Le plus simple nous cherche. Ce qu'on cherche nous poursuit. Le Graal ne cherche pas le sang du Christ. Il reçoit le sang du Christ. Le Graal reçoit le sang sacré et après il le verse soit vers les lèvres d'un croyant, soit à la terre. Les chinois disent "perceptible vers le ciel et actif vers la terre". Nous sommes des réceptacles faits pour donner, pas pour garder.

Faits pour se dissoudre ?
On est comme un nuage. C'est le matériel qui se dissout. La conscience ne peut pas se dissoudre parce qu'elle n'est pas matérielle.

Est elle éternelle ?
D'une certaine façon, oui. Mais pas l'individuel. Les lois de l'univers sont éternelles, ça c'est la conscience. Donc dans moi, il y a l'éternité comme dans toi. Rien ne se dissout.

Y-a-t-il une transformation de l'âme ?
Une floraison. L'âme s'ouvre. Elle ne se transforme pas. La graine fleurit. L'âme est comme la plante. Si on est exhaustif avec sa pensée, la conscience est immutable. Elle n'obéit pas au changement. Parce qu'elle n'est ni dans l'espace ni dans le temps. Si elle était dans l'espace et dans le temps, elle changerait. Ce qu'on appelle conscience, c'est le noyau conscient. Ce noyau là ne peut pas changer, il est immutable sur des milliers d'années, dès ce que tu appelles naissance jusqu'à ce que tu appelles mort et encore. Immutable. Elémentaire mon cher Watson.

Logique...
Dès qu'on utilise des mots, on tombe dans le domaine de la logique. Mais la vérité n'a jamais été les mots. Si tu veux trouver la moindre vérité et arriver au vrai monde, il faut sortir des mots. L'intellect est constitué de mots. Le mental non, c'est une énergie qui acquiert sa force dans le silence complet.

Dans quelques minutes, vous allez rejoindre la France profonde…
Tu insistes à voir la France. Tu sais il y a des italiens, des allemands, des chiliens, il y a toutes les nationalités. Tant qu'on voit le monde à travers un seul langage et une seule nationalité, on est limité. Il faut avoir plusieurs nationalités et au moins deux langues. Les langues, les nationalités, les traditions sont des prisons. Il faut s'en libérer. Les pays sont des enfants qui doivent grandir jusqu'à devenir planète. Les basques, les palestiniens, les israéliens, etc... Ces gens qui luttent pour leur petite identification mais mon Dieu c'est… Cette civilisation là est stupide. On va la jeter aux poubelles de l'Histoire. Toutes ces limitations nous font choisir des politiciens qui nous correspondent. Des politiciens en lesquels personne ne croit plus. Et on est obligé, et moi aussi, de voter pour des gars ignobles. Ils sont aussi ignobles les uns que les autres. Ce sont des gangsters et des voleurs. Personne ne croit en eux, ne les admire, ne les aime, et on voudrais t'obliger à voter pour eux en sachant qu'eux ne comptent pas, que ce sont des pantins de l'économie, et que derrière il y a les banquiers. Il faut que ça change, c'est lamentable. Les masques sont tombés. Ce sont les servants d'une économie malade et criminelle. Chacun se doit de donner son petit grain de rêve à la conscience citoyenne.

Comment avez-vous réagi aux attentats du 11 septembre ?
Absolument contre les deux camps. Les Etats-Unis ont provoqué un golem et le golem s'est jeté contre eux. Et maintenant nous payons tous cette situation. Une situation lamentable des deux côtés. Il faut bombarder Israël et la Palestine avec une pluie de poèmes disant : "Ca suffit bande de connards, ça suffit, arrêtez, c'est stupide". Et on doit faire ça des deux cotés. Ces guerres, comme ceux qui les font, sont stupides et inutiles. Le Bien, le Mal, mais on n'est plus au Moyen Age ! Le système boursier est stupide, le système bancaire est stupide, la conception de l'argent est stupide. Il faut changer l'argent. Il faut changer tout le système. Où que l'on aille, il faut semer des graines de conscience à tout moment, partout. Ce sont surtout ceux qui ont étudié qui doivent le faire. Ceux qui n'ont pas étudié ne le feront pas. Ce sont les gens qui ont cultivé leur esprit qui parlent comme moi. Si j'étais un banlieusard en train de me submerger dans le rap comme unique solution sociale possible, je ne parlerais pas comme ça. Avant tout il faut se développer soit même. J'ai cherché les personnes qui avaient un degré de conscience plus vaste que le mien. Et c'est pour ça que je me suis approché du Tarot. Le Tarot c'est un instrument qui ouvre la conscience. Mais je me suis aussi approché des arts martiaux, de la poésie, du théâtre. Je me suis approché de tout ce qui pouvait repousser mes limites. C'est une façon de survivre. Avant je voulais être maître. Aujourd'hui je ne veux être qu'un continuel élève. Et tout ce que je veux pour moi je le veux pour les autres. Mais les autres parfois ne peuvent pas avoir ce que j'ai parce que j'ai le talent, l'imagination. Mais j'ai passé des années à les développer. Je me suis battu contre la poésie, contre le langage, contre le style, contre tout. Mais je pense que tout le monde peut faire quelque chose dans ce qu'il est. Nous devons lutter pour une mutation de la pensée et une réévaluation de la morale. Pose moi une dernière question.

Comment finir cette interview ?
La meilleure façon de finir une chose, c'est en la finissant... Mais je dirais que rien ne finit. Tout continue. Nos chemins se sont croisés. Tu vas suivre ton chemin et moi le mien. On ne naît pas, on ne meurt pas. Tout est continuation. Puisque tu as parlé d'avenir du monde, regarde ce chat décontracté. Si tout le monde avait le bonheur de ce chat là, tout irait bien. Il y a des moments de paix dans ce monde, comme ce chat. S'il y a un moment de paix, ça veut dire qu'elle existe.

La paix existe, on a la preuve...
Elle est là la preuve, tu vois là, on a un miracle. Et regarde le plaisir que ce chat a à communiquer avec un être humain. Parce que je ne suis pas son maître, je suis seulement un être humain pour lui. Il pourrait prendre exactement le même plaisir avec toi. Tu veux voir ? Prend le chat... Tu vois, caresse-le... Ca y est, il est à toi, la paix est à toi.

Alexandro Jodorowsky, La Danse de la réalité, Albin Michel