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#Gilles-Eric Seralini
LES OGMS EN QUESTION(S)
Gilles-Eric Seralini est professeur
d'université, chercheur en biologie moléculaire
et auteur de OGM, Le vrai débat. Il a été
l'un des premiers scientifiques à nous mettre en garde
contre les dangers liés aux organismes génétiquement
modifiés (OGM). Dans cet entretien il nous rappelle
quelques bases trop souvent oubliées sur les OGM et
nous alerte sur les menaces qui leurs sont liées.
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Sur quoi portent actuellement vos recherches
?
Mes recherches portent sur le fonctionnement
intime de la cellule, sur le dialogue entre les organes et les organismes.
Plus exactement, j'étudie l'endocrinologie moléculaire,
les relations hormones / cancers et pesticides.
En 1997 vous demandez, avec un groupe
de scientifiques, la mise en place d'un moratoire sur la commercialisation
des OGM.
On m'a demandé de faire partie des
commissions gouvernementales d'évaluation des OGM des ministères
de l'Agriculture et de l'Environnement français. Je connaissais
les effets des pesticides sur la santé et le mode de création
des plantes transgéniques qui produisent ou absorbent des
pesticides. Je me suis tout de suite questionné sur les contrôles
qui avaient été faits. Et là j'ai découvert
le scandale : un consortium de lobbies mène la danse et entrave
la recherche sur les effets des pesticides sur la santé.
Ces corporations veulent commercialiser rapidement et sans contrôle
des produits technologiques, et breveter la base de l'alimentation.
Ce moratoire a permis de faire prendre conscience d'un problème
de santé publique aux associations d'agriculteurs, aux syndicats
agricoles, aux associations de consommateurs, ainsi qu'à
différents groupements écologistes ou de défense
de l'environnement. Mais aussi très vite aux ministères
concernés.
C'est au niveau global qu'il faut avoir
une réflexion et agir, c'est ce que vous faites avec le Comité
de Recherche et d'Information Indépendant sur le Génie
Génétique (CRII-GEN) ?
Le CRII-GEN est un comité d'expertise
associatif et indépendant des producteurs d'OGM, qui fonctionne
avec ses côtisations. Nous fournissons à nos adhérents
des éléments pour mieux réfléchir à
leur acceptation ou à leur refus de certaines données
du dossier OGM. Nous avons également établi un dialogue
avec un certain nombre de semenciers qui produisent ces OGM. Nous
leur avons expliqué les risques qui nous paraissent à
étudier, ou en tous cas importants dans le domaine de la
diffusion des plantes transgéniques, sur l'environnement
et la santé. Ils ne peuvent plus dire qu'ils ne savent pas,
cela est très important juridiquement au cas où demain
il y aurait des morts à cause de la consommation de maïs
ou de soja transgénique.
Des morts dues à la consommation
d'OGM ?
Pour les vaches qui avaient mangé
des farines animales c'était une éventualité
impossible et puis cela a été avéré.
Pour le sang contaminé ou pour l'amiante on n'y pensait pas,
en tout cas certains y pensaient, et puis cela a été
avéré. Les OGM sont essentiellement des plantes faites
pour produire ou absorber des pesticides. Les effets néfastes
des pesticides sur la santé sont à attendre au bout
de quelques mois ou de quelques années. Ils seront multifactoriels
et complexes, et n'agiront pas comme un virus qui tue en quelques
jours. On a mis des dizaines d'années à admettre que
le tabac était cancérogène et la consommation
de tabac journalière est facile à tracer. Alors pour
établir des corrélations entre des problèmes
de santé et les OGM disséminés sans étiquette
il faudra certainement des dizaines d'années.
Où en est la traçabilité
des OGM ?
Le résultat de notre combat a été
qu'elle soit de plus en plus présente en Europe. Au niveau
mondial, l'étiquetage augmente et les méthodes d'étiquetage
et de traçabilité de l'Europe servent d'exemple. Les
Etats Unis n'étiquettent pas et ne tracent pas les OGM et
sont de plus en plus isolés, même le Canada commence
à demander l'étiquetage. Comme nous avons été
les premiers à demander en 1997 la tracabilité des
OGM, cela a paru irrationnel parce que les Etats-Unis exportaient
des produits OGM et non-OGM, le tout mélangé. Aujourd'hui
la traçabilité est acquise, mais il faut encore faire
des progrès avec les tests sur animaux. Il ne s'agit pas
de réfuter une science, il s'agit qu'elle soit utilisée
au service de l'homme.
Pouvez vous nous apporter quelques notions
et chiffres clés sur les OGM ?
99 % des OGM commercialisés dans le
monde sont des plantes à pesticides, en tolérant ou
en produisant. Quatre plantes se partagent 98 % du marché
OGM (soja, mais, coton et colza) et 97 % sont produites sur le continent
américain (USA, Argentine, Canada). Les recherches portent
sur les plantes qui produisent leur propre insecticide et celles
tolérant un désherbant. Ces plantes ne sont adaptées
qu'au monde industriel et occidental, elles ne résistent
pas à la sécheresse ni au gel. Elles ne sont donc
pas adaptées aux climats spécifiques des pays pauvres
et de toute façon il n'y a pas de marché dans ces
pays. Les semences d'OGM coûtent plus cher puisqu'elles sont
brevetées, mais facilitent la vie de l'agriculteur, des pratiques
intensives à court terme en lui donnant moins de travail
ou moins de sous traitance. Mais la Direction Générale
de l'Agriculture de la Commission Européenne remarque qu'au
final le rendement n'est pas meilleur. Comme certaines de ces plantes
repoussent en présence de désherbants, elles nécessitent
donc de plus importantes consommations de ces produits sur le long
terme. Il est probable qu'à moyen ou long terme les agriculteurs
seront de plus en plus liés au marché des pesticides.
On voit actuellement les grands semenciers organiser le rachat des
coopératives agricoles. En plus d'être très
chers, les pesticides intoxiquent les agriculteurs qui les utilisent.
Un agriculteur sur six est victime des pesticides. Voilà
comment on a utilisé la science pour servir l'agriculture
dominante produisant et utilisant les pesticides. Notre combat est
d'affranchir le monde de ces méthodes intensives qui finalement
exploitent la terre et l'homme, et de favoriser des méthodes
alternatives de systèmes intégrés qui utilisent
la lutte biologique, l'éco-culture, des méthodes diversifiées
qui ont fait quelquefois leurs preuves, comme en agriculture chinoise
traditionnelle, et qui permettent de nourrir des populations de
proximité et de réduire l'utilisation des pesticides.
Qu'en est-il de la recherche sur les
animaux transgéniques ?
Les plantes ont gardé la capacité
de bouturage, donc une fois qu'on les obtient transgéniques
on peut les reproduire à l'identique ou les hybrider, pour
les animaux on est limité par le clonage. La commercialisation
d'OGM animaux reste donc marginale et minoritaire mais beaucoup
de choses se préparent. Ils sont utilisés soit pour
la production agricole ou textile, soit pour la production pharmaceutique.
Il y a quelques animaux qui ont été acceptés
à la commercialisation comme un saumon transgénique
au Canada. Là encore on dope génétiquement
les animaux, les hormones qui avant étaient injectées
aux bufs ou aux poulets afin qu'ils soient plus gras sont
désormais produites par des gènes artificiels. Les
populations du sud manquent de médicaments parce qu'ils sont
brevetés, alors imaginez si l'alimentation l'est totalement.
C'est très efficace pour affamer les populations sur le long
terme et redoutable pour l'avenir de l'humanité.
Dans votre livre OGM, le vrai débat,
un chapitre s'intitule L'armée et la guerre biologique.
Que pouvez-vous nous en dire ?
Les OGM peuvent servir à faire la
guerre, il existe deux méthodes: les douces et les dures.
Les méthodes douces, que préconisent certains états
sont des méthodes de contrôle de l'agriculture d'un
pays. Soit on stérilise les insectes pollinisateurs qui stériliseront
à leur tour les plantations, soit on répand sur les
cultures des insectes dévastateurs.
Comme le Diabrotica Virgifera ?
Oui. Le Diabrotica Virgifera est un insecte
très dévastateur et très dangereux qui est
interdit dans les laboratoires, et qui a été répandu
en Europe au cours de la guerre en Yougoslavie. Il n'existait qu'en
Amérique et il est apparu après l'arrivée de
l'armée américaine sur le sol européen. Ce
sont des coïncidences mais depuis on a des preuves de sa dissémination
à partir de ce point central. Sa dissémination relativement
lente le fait arriver aux portes de l'Italie, et cela en quelques
années seulement. Il se trouve qu'en Europe au même
moment, Monsanto a essayé des maïs transgéniques
résistant à cet insecte alors qu'il n'y en avait pas
besoin apparemment en Europe...
Les "black programs" de certains
laboratoires paraissent très préoccupants
Il y a de nombreux insectes porteurs de maladies
comme la malaria ou la fièvre jaune, notamment les moustiques,
il est possible de créer des souches qui soient plus porteuses
de certaines maladies que d'autres et de favoriser la dissémination
d'ufs des moustiques. On a là une arme de guerre redoutable;
on note qu'au moment de la guerre du Golfe, des maladies nouvelles
et particulières se sont développées. On
sait reconnaître des spécificités immunologiques
ou de peau chez les individus au niveau moléculaire et on
peut très bien imaginer, comme on imagine certains vaccins
spécifiquement pour certains types de population, des armes
biologiques qui s'attaqueraient uniquement à un certain type
de population. C'est ce qu'on appelle la thérapie génique
inversée. Les laboratoires essaient de transformer des bactéries
anodines en armes hautement dangereuses. On pense au bacille du
charbon, à des virus de la grippe qui porterait les gênes
du virus du sida. Cela devient à la portée de la plupart
des laboratoires et ce sont les méthodes dures. Aujourd'hui,
les manipulations génétiques et la guerre bactériologique
sont beaucoup moins chères, plus diversifiées et plus
puissantes que l'arme nucléaire. En France, la Commission
du Génie Génétique, qui travaille sur les autorisations
des expérimentations dans les laboratoires, doit contrôler
de plus près les autorisations qu'elle donne. Les objectifs
des expérimentations doivent être recensés précisément.
J'aimerais vous citer cette apostrophe
du philosophe Nietzsche : " Je vous enseigne le surhumain.
L'homme n'existe que pour être dépassé. Qu'avez-vous
fait pour le dépasser ?"
Réfléchir et se poser
des questions sur son devenir et sur son projet. Je crois que l'homme
ne peut se dépasser qu'à partir de projets. Remarquons
qu'aujourd'hui nous connaissons mal la génétique de
l'être humain, nous n'avons pas fini le séquençage
du génome humain et même quand nous l'aurons fini,
nous ne comprendrons pas forcément comment tout marche. Pour
nous dépasser, nous avons donc besoin de plus de recherche
fondamentale avec comme moteur le principe de précaution
qui stimulera la recherche par un système de surveillance.
Celui-ci nous permet de savoir ce que l'on fait au moment où
on le fait.
Le vrai progrès humain, c'est celui qui constate ses erreurs
et qui s'en sert pour faire mieux. Il faut donc mener des tests
complets sur les OGM avant toute diffusion à grande échelle.
Donc avant le surhomme, il y aura le
sursinge ?
Il est déjà là.
Gilles-Eric
Seralini, OGM, le vrai débat, coll. Dominos,
Flammarion |
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